Sur un coup de tête, un défi était né. En effet, arrivé au bord de l'eau avec mon ami Bruno, tout était prévu pour réaliser notre pêche avec comme arme principale, le bateau pneumatique. Ce dernier devait nous servir à sonder, placer nos repères, amorcer… Ces actions ne sont pas sans conséquence sur le comportement des poissons d'autant plus que cette approche était très usitée sur les lieux en question. Alors que j'étais en train de gonfler le bateau, je lève la tête et aperçois des pêcheurs en action sur leur boat et ce sur plusieurs postes. Je m'arrête en plein effort et dis à Bruno : « Je laisse tomber le bateau ! Pour moi ce sera pêche du bord uniquement ! » Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est un contre-pied peu utilisé ici. Cette prise de risque va-t-elle être bénéfique ou au contraire demeurer stérile ? Je me limiterai donc à une distance maximale de 80 m environ (distance à laquelle mes M5 10 pieds me permettent de pêcher très confortablement).
Un havre de paix
Mon challenge se déroula sur un très vieux plan d'eau municipal de plus de 80 hectares. Situé à quasi 800 mètres d'altitude, les conditions climatiques peuvent être vite capricieuses. Un beau cheptel peuple les lieux ! Les sujets de plus de 20 kilos ne sont pas rares ! La moyenne doit être aux alentours de 13/14 kilos environ. Les embarcations sont autorisées. La topographie est régulière avec des zones de vase, de sable et de cailloux ; un chenal bien marqué est également présent. La profondeur maximale est de l'ordre de 5 m environ. Ce lieu est authentique, sauvage, préservé, magnifique …
Les conditions climatiques du moment
Nous sommes en début de saison (2017) sur une période anticyclonique. La température de l'eau grimpe tout doucement. Le soleil est bien présent la journée. En revanche le vent du nord, plutôt soutenu, est glacial. Les températures de journée sont plutôt agréables quand le vent se fait discret. Les nuits sont fraîches pour la saison. Plusieurs gelées ont eu lieu lors de notre séjour, jusqu'à – 5°C. Rien d'étonnant quand on connait la rudesse des lieux ! Nous sommes encore loin de la pleine saison. Notre poste est exposé Ouest.
Une approche décalée
Mon approche générale sera basée sur la différence et la discrétion (la meilleure possible). Je m'en explique. Lorsque que nous amorçons, nous souhaitons conditionner les poissons aux types d'appâts utilisés. Cependant lorsque les stratégies mises en place se répètent inlassablement nous créons sans le vouloir un conditionnement négatif. Au début les poissons se conditionnent favorablement aux friandises utilisées mais à force de se faire prendre elles déclenchent naturellement un phénomène de prudence par rapport aux esches employées mais aussi par rapport aux pratiques nécessaires en lien avec ces appâts. C'est ainsi que nos bateaux, nos spombs, nos plombs, la dispersion toujours similaire des appâts … par le bruit créé, l'aspect visuel et autres, peuvent créer un comportement de fuite chez les poissons et/ou un comportement de méfiance. Il n'est jamais simple d'évaluer ces phénomènes. Difficile de dire si le conditionnement positif reste supérieur au conditionnement négatif créé. Pour essayer d'établir un état des lieux, il faut analyser les pratiques exercées dans la grande majorité, les conditions du moment et l'activité/réaction des poissons. Il nous appartient ensuite de tenter une approche différente si nous sentons que c'est le bon moment. Qui ne tente rien n'a rien, non !? C'est en quelque sorte une prise de risque qui peut rapporter gros mais qui peut s'avérer complètement stérile. Mais ça on ne le sait souvent qu'après.
Pour en revenir au lieu qui nous intéresse, je m'attarderai sur une pêche du bord n'excédant pas 80m. Je n'utiliserai en aucun cas le bateau pneumatique. La discrétion devra être de mise. Je bannirai toutes approches bruyantes comme le spomb, amorce frondée … Je souhaite mettre en place une stratégie globale composée de 4 approches différentes mais complémentaires ou interdépendantes : 1 par canne. Je retiens 4 spots pour placer mes lignes.
Un spot central où j'amorcerai en bonne quantité, à la bouillette uniquement. Amorçage qui sera très dispersé afin de se différencier des amorçages réalisés en boat. Le substrat de cette zone présente une petite couche de vase. En périphérie de cet amorçage, je placerai une seconde canne un petit peu plus près (en limite vase/dur). Je souhaite amorcer à la farine avec quelques billes délavées (les mêmes que mon amorçage principal). C'est là que mon bateau amorceur intervient. Je pourrais le faire à la fronde mais pour le coup, le bateau amorceur sera plus discret que des boules frappant la surface ! De plus, je souhaite que ma farine soit la moins compacte possible de façon à garnir une grande surface. Je veux intercepter des gros poissons qui seraient en maraude autour de l'amorçage principal. La farine sera un marqueur déterminant et les billes délavées un contournement du conditionnement négatif éventuel. Le but étant de faire croire que le spot est délaissé par le pêcheur. Ma troisième canne sera placée sur une zone de dur où existe un amas de pierres à une soixantaine de mètres. Cette canne également en périphérie, proche de ma zone amorcée, sera alimentée à fréquence régulière de façon à stimuler les éventuels poissons actifs sur la zone. J'affectionne particulièrement cette méthode qui permet parfois de rendre les poissons frénétiques. Enfin, je placerai ma dernière canne loin de l'amorçage, en tête chercheuse. Aucun amorçage sur cette canne. Je mise sur l'attraction de mon esche et l'agressivité de mon bas de ligne. Justement côté montage, j'en utilise 4 différents, s'adaptant au mieux au substrat et à l'amorce employée.
Ma canne sur l'amorçage sera équipée d'un Combi rig esché d'un bonhomme de neige. La canne sur l'amorçage à la farine et aux billes délavées sera armée d'un bas de ligne en Shadow type D Rig esché d'une bouillette dense délavée. La canne proche des cailloux présentera un Spinner rig : agréssivité du montage couplé à l'agressivité de l'amorçage ! La canne « tête chercheuse » fera confiance à un Chod. Au niveau des appâts, je me suis tourné vers des Signal et des Pro Monster Crab tant au niveau de l'amorçage que de l'eschage.
1er 24 H
La première nuit se soldera par trois poissons. Deux sur la canne de l'amorçage principal et un joli sujet sur la canne de droite (farine et bouillettes délavées).
L'affaire commence doucement mais sûrement. La canne en tête chercheuse et celle amorcée en rappel restent stériles. Le poisson semble en activité tout de même mais difficile de faire des plans sur la comète ! Notons tout de même que l'activité semble être nocturne et matinale. Fort de cette constatation, j'insisterai sur mon rappel uniquement la nuit. Ma zone d'amorçage quant à elle sera alimentée en milieu d'après-midi dans le but de continuer à les faire s'alimenter la nuit.
2ème 24H
Les touches sont en augmentation avec un total de 4. La canne « farine et bouillettes délavées » produit encore un joli poisson de plus de 20kg.
Une touche se fera sur la zone amorcée et les deux autres sur le spot de pierres. Les constatations des 24 h précédentes se confirment. Activité toujours nocturne et matinale. La canne en tête chercheuse est toujours muette ce qui laisse à dire que les poissons sont intéressés par les zones amorcées. La journée, j'ai donc tendance à laisser reposer les zones pour les optimiser pleinement entre 22h et 10h du matin.
3ème 24H
Mon contre-pied stratégique commence à payer puisque les touches ne s'essoufflent pas. Au contraire. 5 touches entre 22h et 10h. La canne de droite produit encore 2 poissons et pas des moindres.
Cette canne, à cet instant, dispose d'une moyenne assez élevée pour les lieux : quasi 20 kg. Mon approche était pensée dans ce sens mais de là à imaginer un tel résultat, mes chevilles enfleraient ! Les autres poissons ont été réalisés sur mon spot de rappel. Les poissons semblent, sur ces dernières 24H, plutôt mordeurs là où il y a un apport régulier en appâts.
4ème 24H
C'est l'apothéose !! Elles sont cette fois-ci rentrées en pleine frénésie alimentaire. Seul bémol, la moyenne de poids sur ma « canne à cochons » chute. Je fais un petit poisson. Et ce sera sur cette canne la seule touche. En revanche, j'enregistrerai 10 touches sur les 2 spots « zone amorcée » et « zone rappel » avec quand même une majorité de touches sur la seconde.
Je tiens à préciser que mon rappel a lieu toutes les heures voire demi-heure de 22H à 5/6H. Après je laisse reposer.
5ème 24H
Le rythme des touches a bien baissé mais reste correct. La zone amorcée régulièrement n'est plus productive, la zone d'amorçage principale non plus. Trois poissons ont été pris sur la « canne à gros poissons » et enfin une sur la canne « tête chercheuse ». Il est clair que les mouches sont en train de changer d'âne ! Les poissons ne semblent plus intéressés par les amorçages, alimentés en rappel ou non. Par contre mon spot « farine et bouillettes délavées » fonctionnent toujours.
6ème 24H
Eh bien ma canne « tête chercheuse » sera mon sauve capot cette nuit-là ! Les conditions ont complètement changé et les poissons semblent avoir quitté la zone de pêche.
Mon défi « coup de tête » est pleinement réussi. Je totaliserai 28 poissons avec une moyenne très correct. Les résultats ont été au-delà de mes espérances. Il est toujours très difficile de faire à l'encontre de ce qui est autorisé. Si le bateau pneumatique, le bateau amorceur ou autres accessoires sont permis, il nous est parfois très difficile de nous en détacher. Il est vrai et je ne serai pas honnête de dire le contraire : ces outils améliorent très souvent notre pêche en nous rendant bien plus efficaces ! Mais attention, à trop en abuser ou à force de les utiliser lorsque cela n'est pas nécessaire, ils peuvent créer un conditionnement négatif bien supérieur au conditionnement positif que nous nous appliquons à mettre en œuvre. L'excès n'est bon en rien ! Alors osez le contre-pied !