Forcément, la première question qui me vient à l'esprit est pourquoi avoir changer de mode de distribution et être dorénavant passé à la vente en direct ?
Fred Miessner – Disons que les fondamentaux du marché de la pêche n'étaient plus du tout respectés quant aux différents risques que tu prends. Je souhaitais changer de Business Model, essayer de développer un Business Model qui tiendrait encore dans 10 ans. Le modèle de distribution devait évoluer et le site de vente en ligne était pour moi la suite logique de l'histoire FTF. Le fait de vendre en direct permet de s'adapter beaucoup plus facilement à la saisonnalité mais également aux imprévus comme un changement de réglementation par exemple.
A l'époque de FTF ancienne génération, j'avais foi en certaines marques, techniques, certains produits mais qui ne trouvaient pas d'écho auprès des détaillants. Un certain nombre de détaillants ont perdu le monopole du savoir, de la progression techniques des gens et sont plutôt devenus des suiveurs. La connaissance de plus en plus pointue acquise par les pêcheurs via les réseaux sociaux, dont nous étions issus et sur lesquels nous communiquions bien avant que les autres marques s'y mettent, était en décalage avec celle des détaillants. Disons qu'avec FTF nous étions certainement en avance, pas meilleurs, mais en avance… Je me suis alors rendu compte que je faisais un énorme travail pour faire connaître des produits et des marques et que l'obligation de passer par un revendeur ne permettait pas d'obtenir le retour espéré. Rapidement, mes meilleurs clients furent logiquement des sites internet gérés par des passionnés, des pêcheurs friands de nouvelles techniques qui avaient la possibilité de vendre en direct. Enfin, je voyais également de petites marques japonaises qui ne pouvaient pas supporter le schéma traditionnel de distribution, au risque de voir leur prix exploser littéralement.
Les raisons du lancement du FTF Pro Shop sont donc multiples et c'est manifestement quelque chose que tu façonnes depuis un certain temps…
Fred Miessner – Cette idée de vente en direct me taraudait depuis longtemps, oui, et la création du Pro Shop est, pour résumer, le résultat de contraintes liées à un Business où il faut bouger beaucoup de stock pour gagner de l'argent. Avec le FTF Pro Shop, il y a peu de différence entre le Japon, les États-Unis et la France, les prix sont corrects. Je tiens à rester raisonnable à l'heure où le marché est global.
Au-delà de la vente en direct, un autre changement notable est celui de ne plus distribuer de marques historiquement importées par French Touch Fishing en France, pourquoi ?
Fred Miessner – En 2019, Reins a été revendu à Hayabusa, et là tout a basculé, on ne parlait plus le même langage. Avant les relations commerciales, ce sont les relations humaines tout court qui sont importantes pour moi. J'ai un énorme respect pour les designers. Ce ne sont pas des Business man en premier lieu mais de vrais passionnés, des indépendants. Et moi je suis de cette fibre-là, je suis un indépendant. J'ai donc eu envie de tourner la page, d'avancer dans mon projet, de repartir d'une copie neuve. J'avais en plus de ça des choses exceptionnelles dans les tuyaux comme une relation privilégiée avec Hiroshi Nishine, qui est pour moi un des meilleurs designers de leurres au monde aux côté de Seiji Kato, Yuki Ito ou Masahiro Adachi. Il a un parcours chaotique à la Kill Bill très intéressant et a fait des leurres incroyables ! Son histoire et sa légitimité viennent du Craft. Et puis, il comprenait qu'avant de faire connaître sa marque et ses produits, il y avait une nécessité de faire connaître l'histoire, son histoire, savoir d'où il vient, de quoi il est pétri. De nos jours il y a des marques derrière lesquelles il n'y a personne et d'autres où il y a une véritable histoire à raconter.
Ninshine Lures Works représente-t-elle le socle du nouveau FTF ?
Fred Miessner – Oui, clairement. Honnêtement, Hiroshi Ninshine est la personne la plus proche de moi, celle qui a un potentiel de création incroyable, qui amène des choses nouvelles et qui va loin dans les détails. Et puis j'aime bien ce retour aux leurres durs, au crankbait, jerkbait, etc. C'est vraiment la marque que je me dois de bien distribuer. Au-delà de ça, avec Nishine Lures Works, les fondamentaux pour correctement distribuer sont là, il y a suffisamment de marge arrière pour que ça sorte à des prix cohérents, même en boutique.
Peux-tu nous parler des autres marques ?
Fred Miessner – Il y a HMKL, la marque de Kazuma Izumi, lui aussi issu du Craft et qui pourrait être le père le Hiroshi Nishine et qui est au fondement de la culture moderne du leurre au Japon. Pour la petite histoire, c'est lui qui fabriquait le Kick Ringer qui n'était donc pas produit dans les usines Reins mais dans son petit atelier. Pour les connaisseurs, c'est un leurre légendaire ! Le Kick Ringer est un leurre que nous avions caché les premières années, que nous avions gardé pour la Team FTF pour les compet' en Street. Donc avec HMKL, c'est comme si je remettais en place, sous une nouvelle forme, la crème de ce que j'avais auparavant chez Reins car la matière du Kick Ringer est la même que celle de sa gamme de leurres souples. HMKL a une gamme de leurres souples et durs axée Bass et Area incroyable dans sa qualité et sa diversité. En ce qui concerne le Bass, cette gamme a été développée pour la pêche, non pas des gros Bass du lac Biwa, mais de ceux de l'est du Japon, autour de Tokyo, évoluant dans de petits lacs naturels et cristallins au pied du mont Fuji. Ces Bass sont très difficiles et un poisson de 45 cm est un spécimen ! Les produits HMKL sont donc pensés pour les pêches "Finesse" et trouveront un écho logique en France pour les pêches techniques de la perche, notamment.
Il y a aussi Pitch and Strike, la marque d'un ami, Kenshin Chiba, qui fabrique des leurres souples en Espagne. Je suis très content d'avoir une production européenne, axée Bass encore une fois ,et qui fait notamment un Soft Jerk redoutable sur le bar. Un leurre très mobile, très efficace en traction ou en version plus light, à la volée. Et la pêche au Soft Jerk est très efficace sur le brochet également. Je pense notamment à David Mery, qui a œuvré pendant de longues années à mes côtés au sein de FTF ancienne génération, et qui a contribué à la popularisation de la pêche en traction du brochet au Soft Jerk sur les lacs alpins. Ce type de leurre est aussi aux fondements de ce que j'aime, c'est-à-dire, proposer une nouvelle action, de nouvelles vibrations. En bref, proposer de la nouveauté aux poissons !
Je peux parler d'Ichikawa Fishing, une marque d'hameçons qui équipent tous les leurres Ninshine Lure Works et qui a développé un gros crankbait en collaboration avec Rick Clunn (figure américaine de la pêche du Bass ndlr). Ensuite on trouve Big Hammer, le célèbre shad américain caractérisé par sa paddle carrée, une gomme souple et dense à la fois ainsi qu'une triple injection de couleurs mais également Obasslive, Madotachi sans oublier Big Fish 1983, la marque créée par mon ami William Fichard.
Tu parlais du fait que tu souhaitais maitriser les prix en proposant des marques de grande qualité à des tarifs abordables. Exception qui confirme la règle, tu proposes quand même quelques leurres particulièrement onéreux, le Flag 255 de Grow Design Works en tête. Comment justifier le prix de ce leurre ?
Fred Miessner – Premièrement, c'est fabriqué à la main au Japon dans une petite structure, les séries sont ultra-limitées. On peut d'ailleurs suivre la production sur les réseaux sociaux, on voit la personne fabriquer ses produits. Il y a pour moi un vrai sens de donner de la valeur au Craft, à cette création de produits uniques qui est l'opposé d'Aliexpress qui fossoie complètement l'énergie créatrice et l'innovation. Ces sont deux mondes qui s'opposent. Après, le prix auquel le touche ce leurre n'a rien à voir avec les normes de ce que je pratique depuis 10 ans… Mais j'ai tellement foi en ce produit hors norme qui a la capacité de faire bouger et attaquer des poissons dans des conditions très difficiles que je veux être celui qui va en faire parler.
Ce leurre, pensé pour le black-bass initialement, est notamment caractérisé par une gomme très souple et tendre ce qui ne laisse aucun doute sur le fait qu'il y aura du dégât avec le brochet...
Fred Miessner – C'est certain que je ne vais pas sortir un Flag 255 sur un étang rempli de brochets que tu peux facilement faire mordre sur autre chose. En revanche, lorsque les conditions sont difficiles, tu sors le grand jeu et tu vas faire des fishs quand personne n'en fait. Et je l'atteste, nous avons fait réagir des poissons sur des zones surpêchées. L'aspect soft amène un petit plus de vie par rapport aux leurres durs. Il a quand même un mesh pour le protéger au niveau de la jointure, mais c'est clair qu'avec le pike il va y avoir des dommages et il sera nécessaire d'avoir un flacon de colle pour leurre souple afin de le conserver le plus longtemps possible.
Au-delà de tout ce que je viens de dire, avec le Flag on est dans quelque chose de très visuel, c'est un bonheur. En ce qui me concerne, cela m'apporte beaucoup de plaisir. Après, libre à chacun de pêcher comme il le souhaite mais personnellement, j'ai beaucoup de mal à enlever le Flag 170 de ma canne, en mer comme en eau douce.