Premier château de plaisance
L'aplomb de l'éperon rocheux est sévère et le château haut perché semble encore plus impressionnant. L'immense gour qui baigne les pieds de cet ensemble majestueux offre une vue imprenable. C'est par cette approche, canne à mouche et waders immergés au ras des bretelles, que je découvrais le château de Lavoûte-sur-Loire. Audacieusement construit au plus près d'une boucle de la Loire, à quelques kilomètres du Puy-en-Velay, il marque la fin d'un beau parcours de gorges. Érigé au XIIIème siècle, un temps fortifié, puis agrémenté façon Renaissance, il est abandonné par ses nobles occupants pendant la Révolution française. Il redevient propriété de la famille Polignac en 1847 et se qualifie de premier château de plaisance de la Loire sauvage.
Une journée faste
Cette première fois fut une journée faste, quasiment bénie des dieux. D'entrée de jeu, je me postais en bordure du courant qui entrait dans le gour, noir, profond. Dès l'entame de la dérive, mes deux nymphes enregistrèrent des rafales de touches. Des ablettes spirlins ! Encourageant pour un début. Je progressais de trois pas vers la fosse. Nouvelle touche. La pointe du scion afficha une belle courbure. Un poisson obstiné fendait la colonne d'eau et tentait de rejoindre la berge opposée. Amenée en surface, j'empochais prestement une belle truite fario, noire, dorée sur les flancs et constellée de beaux points rouges. Un pas de plus, une autre. Puis, plusieurs. Soudain, inquiet et suspicieux, je pris la précaution de sortir de l'eau pour vérifier qu'aucun panneau de mise en réserve n'était planté, là, à côté de moi. Mais non ! Pas de signalisation inopportune.
Reprenant la pêche un peu plus en amont, j'attaquais une superbe veine au profond prometteur. Cette fois, la touche fut discrète : à peine un léger déplacement de mon fil indicateur. Je tendais la ligne et au bout d'un combat acharné mettant à l'épreuve la fine pointe de nylon, un bel ombre gris métal rejoignait l'épuisette. D'autres connurent le même sort, puis libérés, ils rejoignirent la fosse de granit. Non, sans que je n'aie déployé leur magnifique nageoire dorsale, juste pour le plaisir des yeux.
Le festival se poursuivit pendant une bonne partie de la journée. Je capturais également deux gros barbeaux à la robe cuivrée, peu expansifs, mais vaillants en diable. Partout des poissons, répartis de la plus petite retourne aux grandes coulées maîtresses. La rivière resplendissait de mille scintillements comme au premier jour de la création, si tant est qu'il n'y en ait eu un.
Différents avis
Vous vous en doutez, cette manne, céleste ou pas, ne s'est jamais reproduite. Maintes fois, j'ai espéré connaître à nouveau cette pêche euphorique. Mis à part quelques spirlins, jamais je n'ai retrouvé pareille abondance. Chacun ira de son avis sur les causes de ce mirage : la saison, la météorologie, la phase de lune ou même l'alignement des planètes, etc… La liste des suppositions est longue.
La dernière fois que je suis revenu à Lavoûte-sur-Loire, je n'avais pas emporté de cannes et de moulinets. J'ai préféré participer à la visite des intérieurs du château. Visite guidée par un vieux monsieur qui ne dépareillait pas avec l'ancestral mobilier des grandes pièces hautes, sombres et froidement meublées. Lui défendait mordicus les plaisirs de ce château Renaissance. Du balcon du salon d'apparat, j'ai ainsi pu contempler toute la hauteur de l'éperon granitique et admirer dans le détail « la voulte » de la Loire, toujours aussi attirante et prometteuse.