Tenter les gros brochets
Cela fait des années que je n'ai pas mis les pieds sur la Dordogne, par manque de temps et l'éloignement. J'y ai pris mes premiers ombres communs il y a plus de 25 ans, et cela fait plusieurs années que j'ai envie d'y retourner, notamment pour pêcher l'ombre en automne et tenter les gros brochets lotois.
Je prends contact avec Matthias que je connais par les réseaux sociaux et ses très beaux films sur « la belle » (appellation de la Dordogne par les locaux) afin de mettre en place un petit séjour en sa compagnie.
Je ne l'ai encore jamais rencontré, mais nous avons échangé de nombreuses fois et dans le petit monde de la pêche à la mouche tout le monde se connait.
Matthias pêche sur la Dordogne depuis son plus jeune âge et il connait plus de 60 km de cette superbe rivière au potentiel incroyable. Ombres, truites, gros barbeaux, chevesnes, carpes, mais aussi très gros brochets peuplent ces eaux.
Depuis cette année, il propose ses services de guidage avec des prestations originales comme la descente de la rivière en canoë afin d'accoster sur différents coins impêchables du bord pour rechercher ombres et truites et barbeaux en été, ou encore en « drift boat », c'est-à-dire une embarcation qui permet de descendre à deux pêcheurs plus le guide, et pêcher depuis le bateau tout en dérivant sur plusieurs kilomètres. Une pêche à « l'américaine » qui est rarement proposée sur les rivières de l'hexagone.
Préparation du séjour et succession de mauvaises nouvelles !
Je suis très excité par ce retour sur cette belle rivière, tant les souvenirs sont nombreux. À l'époque, j'y avais pêché avec mon père à plusieurs reprises et également un séjour avec un ami pour tenter les ombres sur Argentat. En 2021, le reconfinement m'avait empêché d'y retourner et j'avais été très frustré. Puis, il n'est pas toujours facile de trouver le temps surtout du fait de mon activité de guide de pêche en Bretagne.
Malheureusement, je me blesse à l'épaule, peu de temps avant le départ. Une lésion du tendon supra-épinal qui ne fait pas bon ménage avec la pêche à la mouche. Je décide de maintenir le séjour, et de fait, de pêcher main gauche, ce que j'ai déjà dû faire lorsque j'avais contracté une épicondylite il y a quelques années.
Matthias m'appelle quelques jours avant mon départ pour annoncer que la pêche de l'ombre ne sera pas possible, car les débits sont très forts surtout en semaine, lors des lâchers d'EDF en cette période importante de production d'électricité. Un des problèmes majeurs sur ce cours d'eau. Les débits changent sans arrêt et peuvent compromettre la pêche. De plus, les populations de poissons doivent s'adapter et en période de reproduction, c'est catastrophique pour la fraie et survit des juvéniles !
Nous pourrons donc uniquement rechercher le brochet, ce qui est déjà une bonne chose, mais encore moins facile de la main gauche ! Et j'avais tellement envie de retourner pêcher ce poisson fantasque qu'est l'ombre commun !
Matthias, un pêcheur, vidéaste, passionné et amoureux de sa région
Matthias passe me chercher à la gare de Brive et me dresse un topo de la situation. Nous faisons enfin connaissance en chair et en os, et sympathisons. Tous deux passionnés de pêche et de mouches, mais aussi de voyages, les conversations fusent.
Les conditions ne sont donc pas idéales, car il a beaucoup plu et les niveaux sont très hauts et l'eau sale. Nous allons faire avec et c'est au brochet que nous irons sur différents secteurs de la moyenne Dordogne dans les environs de Souillac.
Matthias m'explique en détail le potentiel halieutique de sa région qui est vraiment bien adaptée pour le touriste pêcheur. En plus d'une rivière poissonneuse, le Lot et la Corrèze sont très réputés pour leur gastronomie, leurs nombreux châteaux et attraits touristiques.
C'est un amoureux de sa région qui souhaite faire découvrir à d'autres passionnés de pêche la beauté des sites, tout en recherchant une multitude d'espèces. La Dordogne a toujours fait déplacer les « foules » qui chaque année viennent se mesurer aux belles truites et aux ombres qui peuplent ces eaux riches.
En plus de ces deux espèces très recherchées, Matthias souhaite diversifier son offre en emmenant les pêcheurs sur d'autres poissons comme le barbeau, les poissons blancs, et certainement dans un futur proche, la carpe, mais aussi le brochet, bien présent sur les parties aval de « la Belle ».
Pêche en dérive sur la Dordogne en power fishing
Nous allons donc chaque jour pêcher différents tronçons de la rivière pour tenter plusieurs spots qui abritent tous des très beaux brochets, mais aussi me faire découvrir la vallée de la Dordogne et ces magnifiques décors.
Le premier jour, les eaux très hautes et sales sont impropres à la pêche du brochet, notamment à la mouche, mais nous avons tenté le coup en pêchant en power fishing chaque amortis, ralentissement du courant et surtout les zones lentes et plus profondes qui sont en connexion avec la rivière que l'on appelle ici des coasnes. Ce sont comme des bras morts, parfois issus de résurgence, ou de tous petits affluents, mais aussi créer par l'homme pour diverses raisons.
Les brochets s'y plaisen,t car ils trouvent des zones de courants moins prononcés. Même si le brochet peut bien se développer en rivière, il apprécie les zones plus calmes où il pourra économiser son énergie et se reposer hors période d'alimentation. Ces coasnes sont aussi des zones de reproduction pour les carnassiers, notamment le brochet qui recherche des zones d'herbiers inondables.
Un ami à lui, Luc, montera sur le bateau l'après-midi et tentera aux leurres. À part dans une coasne aux eaux translucides, nous ne ferons rien bouger. Je raterai un petit brochet d'à peine 50/60 qui attrapera qu'une partie de la mouche, puis aurai un remous et plus tard une autre touche courte.
Les débits sont encore forts (plus de 300 m3) mais l'eau s'éclaircit pour notre deuxième journée. Nous serons accompagnés de Frédérique, un ami de longue date de Matthias, co-créateur du site gobages.com et grand fanatique de pêche à la mouche sur la Dordogne. Ces deux-là pêchent souvent ensemble et prospectent de nouvelles zones toujours en quête de nouveaux défis. Les gros brochets lotois les connaissent bien. Ils descendent différents parcours de la rivière chacun sur leur embarcation. Frédérique possède un gros ponton-boat fabrication maison, très pratique pour pêcher cette partie de la Dordogne. Ils se retrouvent régulièrement pour faire le point et stratégie, et partager un pique-nique au bord de l'eau.
Nous n'aurons pas plus de chance lors de cette deuxième journée, qui pourtant semblait plus propice. Les débits sont tellement changeant chaque jour avec des marnages de plus de 100 m3 parfois, les poissons doivent passer plus de temps à trouver un coin de repli qu'à se nourrir !
Un séjour avec des conditions très compliquées, mais avec une très belle fin
La troisième journée sera la bonne !
Un début de journée identique. Pas de suivi, ni de touche pendant une grande partie de la journée.
Je tenterai très brièvement un petit coup en noyée sur une bordure aux heures les plus chaudes au cas où un ombre serait enclin à prendre quelques nymphes, mais sans résultat, et sans trop y croire.
Puis en début d'après-midi dans un amorti derrière un îlot, je prendrai un joli brochet de Dordogne sur une mouche articulée chartreuse et blanche de ma fabrication. Quel plaisir de sentir enfin le carbone de ma canne plier ! Un poisson en pleine forme qui viendra récompenser mes efforts. En effet, je pêche main gauche toute la journée depuis 2,5 jours et c'est une pêche de bordure, de précision et de rapidité. Pas simple avec sa main directrice, alors avec l'autre main, imaginez-vous ! Premier brochet donc main gauche dans ma vie de pêcheur !
On se congratule et Matthias est très heureux pour moi. C'est une personne charmante, bienveillante, très passionnée, qui aime partager ses expériences, et de bonne compagnie.
Puis sur une bordure qui ne paye pas de mine, en fin d'après-midi alors que le soleil déclinait, nos deux streamers sont à moins d'un mètre d'écart, quand soudain, je vois la canne de Matthias se plier sous un ferrage sec et violent. Il vient de piquer un gros de Dordogne. Ce poisson tant recherché qui vient enfin nous rendre visite.
Le rush est puissant et le poisson de plus d'un mètre nous fait une belle chandelle en partant dans le courant ! Quel spectacle de voir ce grand brochet sortir de l'eau avec la canne de Matthias qui accuse le coup ! Il maîtrise parfaitement le combat et je lui mets à l'épuisette dès que le poisson s'approche du bateau. Un moment court et intense que nous avons la chance de partager tous les deux.
Même si j'aurais aimé prendre ce brochet, qui aurait été mon record à la mouche, je suis très content pour Matthias qui a tout fait pendant ces trois jours pour nous faire toucher ce genre de poisson. Il/nous le méritons et cela fait sacrément plaisir de voir un si beau spécimen ! Cette rivière produit de très grand brochet, d'ailleurs il en fera prendre un de 93 cm, quelques jours plus tard et un de 110 cm une semaine après mon départ.
Un séjour certes compliqué en termes de conditions de pêche et résultats, mais très agréable de par la compagnie de Matthias, une très belle rencontre, mais aussi des paysages superbes de cette vallée aux couleurs ocres et rouilles d'automne. À refaire un de ces jours !
