Tous les pêcheurs sont des compétiteurs
La pêche est un sport de compétiteur, vous savez, celui qui veut toujours gagner, être meilleur, plus adroit, plus endurant que les autres. Le compétiteur défie même la chance, à la loterie, il se prend pour le plus fort.
Tous les pêcheurs sont des compétiteurs. Ils comptent le nombre de leurs prises, les mesurent ou les pèsent, les confrontent à celles des autres, ou bien, plus personnellement, les comparent à celles qu'ils ont réalisées en d'autres lieux, d'autres saisons, d'autres temps.
Enfin, je dis ça pour les pêcheurs du 21ème siècle. Dans les temps plus reculés, les scores étaient dans les paniers et les cuisines sentaient bon la friture.
Défendre sa rivière
Antoine, pêcheur à la mouche au grand âge, clame haut et fort que lui, ne fait pas partie de cette caste. Son plaisir, il le trouve dans l'attention qu'il porte à la Semène, sa rivière. Longue de 38 kilomètres, elle naît dans les hauts de Loire, sur les pentes du massif du Pilat. Elle passe ensuite l'essentiel de sa vie dans le département voisin, la Haute-Loire, pour se jeter dans le fleuve Loire à Semène, à l'aval d'Aurec-sur-Loire.
Pourquoi sa rivière ? D'abord, parce qu'elle coule à deux pas de chez lui, mais surtout parce qu'il la défend envers et contre tout, qu'il la choie comme un bébé et qu'il veut lui redonner son lustre d'antan. A tel point, que lors de son mandat de président de la fédération départementale de pêche, il a convaincu ses administrés de l'intérêt d'y installer un parcours « Prendre et relâcher » juste à proximité de son village. Ce parcours est désormais un des plus anciens du département et il en est fier.
De la Semène, Antoine soigne l'eau et les abords ; les accès aussi car il voudrait qu'elle soit fréquentée par de nombreux pêcheurs respectueux de cet environnement fragile. Mais ce qu'il privilégie par-dessus tout, ce sont les poissons : leur santé, leur nombre, leur caractère autochtone, leur potentiel génétique. « Plus de lâchers intempestifs, gardons notre souche pure » harangue-t-il les présidents d'AAPPMA.
Un carnet de pêche à jour
Ses jours d'automne, Antoine les passe à surveiller les frayères et il prend plaisir à compter ses ouailles qui œuvrent pour leur progéniture. Mais en période d'ouverture, il pêche. Et il tient ses comptes-rendus de partie de pêche à jour. Méticuleusement, comme un médecin au chevet de son patient, tout est noté : la date, l'heure, le niveau de l'eau, les conditions météorologiques, les phases de lune. Bien évidemment, les résultats sont dûment consignés, les ratés et les poissons relâchés aussi : nombre, taille et parfois, remarques morphologiques. Les modèles de mouches utilisés sont également détaillés. Il tient ses totaux rigoureusement et il sait à tout moment si cette saison est plus ou moins prolifique que celles des années précédentes.
Au passage, il se félicite si les prises sont en augmentation, ce qui pourrait vouloir dire que ses compétences de pêcheur à la mouche s'améliorent. Pour l'amour de sa rivière, Antoine se donne des airs de compétiteur. Mais ne nous trompons pas : ce qui le motive avant toute chose, c'est le niveau de santé de la Semène.
Se confronter aux autres pêcheurs
Lors du passage des membres de l'équipe de France de pêche à la mouche en Auvergne, Antoine a eu l'occasion de pêcher en compagnie de Julien, jeune compétiteur émérite à en juger les nombreux titres qui ornent son gilet. La confrontation, car c'en est souvent une, eut lieu sur le parcours préféré d'Antoine. Le résultat n'a que peu d'importance en regard de la manière : Antoine a tenu la dragée haute au champion en lui soufflant quelques truites prises en mouche sèche sur des postes délaissés. Notre pêcheur a pour l'occasion, échangé sa casquette contre une couronne de laurier. Preuve s'il en est que lorsque l'aubaine se présente, tous les pêcheurs possèdent l'esprit de compétition !