Les rudiments de la pêche
Il est des lieux qui marquent notre enfance. Parmi ceux-là, j'en compte un dont le souvenir évoque encore aujourd'hui mes premiers émois halieutiques et sentimentaux.
Cet endroit s'appelle « Le Prège ». Situé en bordure de la Semène, jolie rivière du Velay aux parcours facilement accessibles, il offre un paysage reposant et accueillant, entouré de belles prairies abondamment fleuries.
Pendant les grandes vacances, celles qui ouvraient tout grand la porte de la liberté, c'était le lieu de pique-nique préféré de mes parents. Toute la famille débarquait ici, sur la rive droite de la Semène. Elle s'installait autour de la " Simca Aronde Grand Large" et en un clin d'œil, agençait tables et chaises pliantes. Pendant que mes tantes et ma mère préparaient le pique-nique, mon père apprenait aux enfants que nous étions, mon frère et moi, les rudiments de la pêche en rivière. J'avais environ dix ans, l'âge de l'insouciance et du bonheur sans faille.

Une approche délicate
Trois ou quatre ans plus tard, l'endroit était devenu le lieu de baignade et de rencontre des adolescents du voisinage. Plus question de venir là avec papa et maman. Je délaissais les cannes à pêche pour me noyer dans le regard d'une gentille brunette qui était sans aucun doute la plus belle fille du monde. L'approche était délicate. Tel le pêcheur discret, chaque jour, je me rapprochais un peu plus d'elle en déplaçant de quelques mètres ma serviette de bain auprès de la sienne. Au dernier jour des vacances, nous étions côte à côte et je pus enfin effleurer sa main. Quand j'ai caressé ses doigts, elle n'a pas résisté. J'ai vu là un signe de consentement. Du haut de mes trois pommes, j'ai pensé : « Bientôt, je l'embrasserai ».
L'été suivant, lorsqu'elle revint se baigner, elle était en compagnie d'un grand escogriffe dont elle tenait amoureusement la main. Le gars, cheveux gominés et peigne dans le slip de bain, singeait avec application les play-boys de l'époque. Une façon d'en jeter, quoi ?
C'en était trop ! Je repris la canne à pêche et tentais d'oublier les beaux yeux noisette de ma dulcinée envolée. Je me vengeais en capturant un maximum de truites qui pourtant n'y étaient pour rien.

On m'avait dit : « À la pêche, pour réussir, il faut être discret et patient ! » Cette année-là, j'ai cru comprendre qu'avec la gent féminine, cette devise n'est pas de mise et que pour la séduire, mieux vaut jouer les m'as-tu-vu, les arrogants ou les écervelés.
Il y a bien longtemps que je n'ai pas pêché dans ce coin-là. Je veux croire qu'on peut encore rencontrer, en longeant les berges de la Semène, de jolies filles aux cheveux noirs et de belles truites à la robe dorée. Au Prège…