Entrainé dans la folie séparatiste du monde de la pêche, j'ai moi-même longtemps développé un penchant pour snober ce poisson et ses pêcheurs. J'ai découvert sa traque dans les Bouillouses où l'illusion de son caractère sauvage me permit d'accepter de la pêcher alors même qu'elle n'était pas endémique. Ce fut un premier contact concluant qui m'encouragea à me documenter sur ses origines américaines. Je compris alors qu'elle était un poisson de sport des plus exceptionnels. La lecture des récits de sa pêche dans les plus grandes rivières du Montana et du Colorado finit par me convaincre de sa singularité.
Découverte de la pêche en area et en réservoir
Quelques années plus tard, et après de nombreux concours de circonstances, je redécouvrais ces poissons dans un schéma bien différent. La pêche en area ! En Italie puis en France, je participais à des concours. La compétition nous fait vivre des sensations différentes de la pêche itinérante, mais tout aussi respectables. Dans ce cadre, la truite de "bassine" est au cœur de toutes les attentions. Son comportement est analysé sous toutes ses coutures. Nos amis japonais l'étudient de façon minutieuse, comme seul eux en sont capables.
J'ai eu aussi l'occasion de combattre des spécimens géants dans des réservoirs mouches ou leurres. Moment extraordinaire qu'il ne nous est pas toujours donné de vivre.
Quid des lâchers ?
Mais aujourd'hui, ce n'est pas toutes ses différentes pêches qui nous intéressent, mais bien le célèbre et controversé lâcher de truites. Les lâchers ou la pêche éphémère. Assis sur leurs chaises, bière à la main, glacière ouverte et bave aux lèvres, sont caricaturés les pêcheurs de lâchers.
Mon investissement dans la pêche associative m'a ouvert les yeux sur un monde avec des nuances loin de ces caricatures. Quand j'ai intégré le bureau de mon AAPPMA, je voulais porter l'arrêt complet des lâchers de truite. Alertés par mon président de fédération et par quelques anciens, nous décidions de prendre le temps, de continuer les lâchers et d'analyser la situation.
Dès les premiers lâchers, je m'apercevais de la diversité des personnes présentes. Des enfants faisaient leurs premiers pas de pêcheurs, des personnes à mobilité réduite accédaient aux plaisirs halieutiques et enfin des personnes plus âgées pouvaient prolonger leur pratique en passant outre la vieillesse.
Lors du premier lâcher, la chose la plus évidente pour moi était le plaisir qu'ont les gens à se retrouver. À écouter leurs conversations : « Comment va ton épouse depuis la dernière fois ? » « Tes petits enfants ont leur bac ? » « Ha super ta nouvelle canne », etc… Ces lâchers que je regardais du haut de mon mépris comme étant une boucherie n'étaient en fait qu'un de ces moments de liens sociaux forts qui nous font tant défaut dans ces temps troubles. Mais tout n'était pas rose.
Certains pêcheurs avaient des comportements choquants. Des incivilités entre pêcheurs, quelques déchets laissés au sol, mais surtout un manque de respect pour les poissons. Il nous fallait améliorer tout cela et retravailler le « produit ». Excuser cette expression de commerçant.
Prendre des initiatives
Nous avons, grâce à la Fédération de pêche du Var, une dotation de truite constante depuis plusieurs années. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que la fédération du Var a un fonctionnement basé sur la solidarité entre les petites et les grosses AAPPMA. Elle répartit les dotations entre ces associations.
Ce qui nous a amenés à une mise en place de la politique de l'association et des priorités de notre AAPPMA :
- Le travail sur le milieu et sa protection
- La lutte contre les espèces invasives
- La formation des jeunes pêcheurs
- L'initiation à l'environnement des scolaires
- Multiplier les contacts locaux avec les élus
- Développer la pêche
En ce qui concerne les lâchers de truites, nous avons fait plusieurs choix.
- En premier, nous décidons que les pêcheurs doivent et devront toujours avoir la possibilité de manger du poisson.
- Que le poisson et l'environnement doivent être respectés.
- Que le comportement de tous doit être cordial.
Nous avons donc agi pour faire respecter nos choix. Nous avons d'abord multiplié les secteurs de lâcher en offrant trois types de parcours :
- Un parcours sur la commune de la Crau, typé canal, plutôt à destination d'une pêche familiale. Parcours qui existait depuis longtemps.
- Un parcours à Solliès-Pont pour les pêcheurs qui veulent s'initier la pêche type première catégorie avec des courants.
- Et un troisième parcours en lac, difficile d'accès, pour les pécheurs pratiquant la marche.
Ces lâchers de truites dits éphémères n'ont pas d'impact sur la rivière. Ils sont faits pour que les truites soient reprises dans les 72 heures suivant leur introduction. Elles n'ont pas le temps d'impacter le milieu.
Pour faire prendre conscience à certains pêcheurs qu'ils doivent changer leur comportement. Nous avons dans un premier temps réduit le nombre de jours de lâcher pour faire un choc et créer les conditions d'un échange avec les pêcheurs. Nous savions qu'ils allaient se plaindre et donc nous contacter. Des explications en tête-à-tête sont toujours plus efficaces qu'au travers les réseaux sociaux.
Parallèlement à cela, nous avons créé un quatrième parcours. C'est un parcours truite d'hiver qui permet une pêche en no kill l'hiver et un prélèvement l'été. Aucun impact sur le milieu, car c'est un milieu où ne vit quasiment aucun poisson. Eau chaude, station d'épuration, étiages forts et cormorans ont eu raison de la majorité de la vie aquatique. La troisième année, nous avons constaté que les comportements se sont complètement modifiés et que l'ensemble des pêcheurs adhéraient à nos ambitions.
Nous avons donc décidé d'augmenter le nombre de jours de lâchers. Partant du constat que notre dotation était constante, il fallait trouver un moyen pour résoudre cette équation : plus de jours de lâchers pour le même nombre de poissons.
Baisse du quota de prélèvements
Nous avons décidé de passer le quota de prélèvements de 6 à trois truites prélevées par jour. Nous pouvons mettre moins de poissons à chaque déversement pour satisfaire le même nombre de pêcheurs et multiplier les jours de lâchers. C'est gagnant, gagnant et gagnant, plus de jours de lâchers, plus de pêcheurs qui peuvent en profiter et plus souvent.
3 truites correspondent à la consommation potentielle d'une famille avec deux enfants. Et pour finir, nous avons décidé de réserver une matinée aux enfants. L'après-midi, tous les pêcheurs pourront venir pêcher, mais le matin sera dédié aux enfants.
Nous essayons d'avoir une approche globale des lâchers de truites. La pêche moderne doit bien sûr sortir de la dépendance au lâcher de truite, mais rien n'empêche de construire une offre variée et aboutie. Les AAPPMA doivent se concentrer sur toutes leurs missions, la protection du milieu aquatique et le développement de la pêche. Ne tombons jamais dans la facilité.
